Entretien de Catherine Colonna publié par le quotidien letton « Latvijas Avize » (28 septembre 2023)

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1. Après l’attaque de grande envergure de la Russie en Ukraine les leaders de plusieurs pays, dont la France, ont adopté une position qui a suscité de l’incompréhension et des objections non pas seulement en Ukraine, mais également dans les pays baltes. « Nous ne devons pas humilier la Russie pour, qu’au moment où les hostilités cesseront, nous puissions former un corridor d’issue par des moyens diplomatiques, » a dit Emmanuel Macron en juillet 2022. Quelle est la position actuelle de la France à cet égard et est-il toujours considéré qu’il faut donner l’opportunité à Poutine de « sauvegarder son visage » ?

La Russie a choisi de lancer le 24 février 2022 contre l’Ukraine une guerre d’agression qui n’a d’autre motivation que la volonté russe de renouer avec un passé impérial fantasmé. Depuis le premier jour de l’agression, la France se tient aux côtés de l’Ukraine pour l’aider à remporter la victoire, par un soutien militaire, humanitaire et économique, et pour mettre en place les conditions de la reconstruction des infrastructures du pays. Si la sortie du conflit nécessite, le moment venu, des négociations de paix, les Ukrainiens seuls décideront des modalités de ces négociations. Aussi longtemps que nécessaire, nous serons à leurs côtés, avec nos alliés et nos partenaires européens. C’est pour cela que nous avons souhaité que l’Union européenne puisse être partie prenante des engagements de sécurité pris pour l’Ukraine. Comme je le rappelle dès que l’occasion m’en est donnée, comme encore la semaine dernière lors de mon intervention à l’Assemblée générale des Nations Unies à New-York, c’est notre sécurité à tous qui est en jeu et nous ne pouvons pas laisser un pays qui en agresse un autre remporter la victoire.

2. Quelle est la position de la France à l’égard de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN ?

Lors du dernier Sommet de l’OTAN à Vilnius, en juillet, il a été décidé que l’Ukraine serait membre de l’Alliance dès que les conditions le permettront. L’Ukraine est aujourd’hui plus proche de l’OTAN qu’elle ne l’a jamais été, c’est d’ailleurs l’un des principaux échecs de Vladimir Poutine. Sans attendre cette adhésion, le Président de la République et son homologue ukrainien ont engagé des discussions sur un arrangement bilatéral, afin de contractualiser dans la durée l’aide que la France apportera à l’Ukraine sur les plans militaire, humanitaire et économique.

3. La Première ministre italienne Giorgia Meloni a promis de mener « des mesures extraordinaires » pour résoudre le problème de l’arrivée des migrants, y compris en appelant de nouveau à déclarer le blocus maritime des pays de l’Afrique du nord. Le débat en matière de migration est également d’actualité en France en ce moment ; des amendements législatifs sont également considérés. Pourriez-vous décrire la ligne qu’adopte votre pays sur cette question ? Est-ce que le blocus maritime est une solution que vous pourriez soutenir ?

L’Italie est exposée par sa géographie, à proximité des côtes d’Afrique du Nord. Elle est amenée à affronter une situation très difficile face à l’afflux des migrants. La réponse doit être trouvée dans la coopération entre Européens et leur solidarité avec l’Italie, comme l’a encore rappelé le Président de la République dimanche dernier. Nous devons aussi travailler avec les pays d’origine et de transit des migrants. Notre priorité, c’est d’abord la prévention des départs, y compris par la lutte contre les passeurs, mais aussi par le traitement des causes profondes de la migration, celles qui poussent ces personnes sur les routes de l’exil pour chercher de meilleures conditions de vie. Nous devons faire le nécessaire pour apporter à ces pays l’aide dont ils ont besoin : à cet égard, nous accueillons favorablement l’aide financière annoncée récemment par la Commission européenne à l’égard de la Tunisie. Mais nos efforts doivent aussi se porter sur le renforcement de notre politique européenne en matière d’asile et de retour, pour la rendre résiliente face aux crises. En ce sens, nous devons adopter, en européen, le pacte « asile et migration », d’ici la fin de cette année. Ce pacte, négocié au niveau des ministres de l’Intérieur, prévoit notamment le traitement des demandeurs d’asile aux frontières de façon à pouvoir distinguer plus vite, plus tôt, ceux des migrants qui sont des personnes persécutées dans leurs pays d’origine et qui, à ce titre, peuvent bénéficier de l’asile et ceux qui à l’inverse n’y sont pas éligibles et doivent être raccompagnés dans la dignité dans leur pays. J’ai pu recevoir mon homologue italien, Antonio Tajani, à Paris, lundi, et constaté que nous partageons le même objectif. Je le répète, nous ne laisserons pas les Italiens seuls et nous serons solidaires pour affronter ce défi.

4. De quelle manière le sentiment dans la société a été influencé par les récentes émeutes dans les villes françaises ?

Les émeutes ont été un choc pour tout le monde. Le gouvernement a su réagir avec efficacité pour mettre fin aux violences. Ceci dit, nous devons en tirer les conséquences. Le Président de la République a demandé à la Première ministre de faire des propositions pour répondre aux défis multiples que celles-ci ont mises en évidence. Comme la Première ministre l’a rappelé, notre réponse doit être globale. Il y a des questions de sécurité et d’ordre public, bien sûr, mais plus largement de respect de l’autorité, d’intégration, d’éducation, de lutte contre la précarité et de mixité sociale et Madame Borne présentera des mesures adaptées lors de la première quinzaine du mois d’octobre.

5. Une attention particulière de la politique étrangère française a toujours été tournée vers l’Afrique. En même temps dans les médias un sentiment anti-français croissant là-bas est de plus en plus présent, en apparaissant souvent également dans la rhétorique de organisateurs de différents « putschs ». Quel commentaire auriez-vous sur ces évolutions et y-a-t-il des mesures spéciales qu’entend prendre votre pays à cet égard ?

Il ne faut pas faire d’amalgame entre l’Afrique et certains pays du Sahel. L’instrumentalisation populiste de discours anti-français, qui est activement amplifié par la Russie, ne doit pas occulter la qualité et la densité de nos relations avec l’immense majorité des pays. Dans un continent en pleine émergence, nous avons des atouts à faire valoir : la proximité de nos peuples, le savoir-faire de nos entreprises, l’excellence de nos universités, la créativité de notre vie culturelle, le dynamisme de notre jeunesse et de nos diasporas, la francophonie. Nous ne devons pas réduire l’Afrique à un terrain de compétition ou de rente mais considérer les pays africains comme de véritables partenaires avec qui nous avons des intérêts et des responsabilités partagées. Nous devons continuer de bâtir une relation équilibrée, réciproque et responsable. Les pays africains sont aussi des partenaires incontournables pour relever les nombreux défis communs. C’est aussi pour cela que nous nous réjouissons de l’intégration de l’Union africaine au G20, et soutenons une plus grande place pour l’Afrique au Conseil de sécurité des Nations Unies.

6. Il s’agit de votre première visite en Lettonie en tant que ministre des Affaires étrangères. Quelle serait la question la plus importante que vous souhaiteriez souligner lors de cette visite ?

C’est vrai mais je suis déjà venue en visite officielle lorsque j’occupais les fonctions de ministre déléguée aux Affaires européennes il y a quelques années déjà ! Je suis honorée d’être ici pour échanger avec les autorités lettones sur les sujets européens, les enjeux globaux et les perspectives de renforcement de la relation bilatérale. La poursuite du soutien à l’Ukraine sera bien sûr au cœur des discussions. Nous devons aussi continuer à œuvrer ensemble, entre Européens, à la réduction de nos dépendances et à un agenda de souveraineté, tel qu’il a été défini, l’an dernier, au sommet de Versailles, sous Présidence française du Conseil de l’UE. C’est la clé d’une sécurité durable pour l’Europe, comme de sa capacité à agir et peser. De la défense au commerce ou à l’énergie, cet agenda d’autonomie stratégique européenne doit être au cœur de l’agenda européen à venir. Travaillons à une Europe plus lucide, plus souveraine, plus intégrée et plus unie.

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