Chine - Conférence de presse de Stéphane Séjourné et de son homologue Wang Yi - Propos de Stéphane Séjourné (Pékin, 1er avril 2024)

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Monsieur le Ministre, cher Wang Yi,

Je suis heureux d’être à vos côtés aujourd’hui à Pékin et je vous remercie de votre accueil. Il était important pour moi de me rendre en Chine pour mon premier déplacement bilatéral dans la région. C’est une excellente manière de poursuivre les échanges que nous avons initiés à Munich en février.

Nous célébrons cette année le 60e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre nos deux pays. Je viens avec un grand plaisir et avec le désir que la relance de nos échanges se poursuive, selon les orientations fixées par nos deux présidents lors de la visite d’État du Président de la République en Chine en avril 2023.

Depuis la reconnaissance de la République populaire de Chine par le général de Gaulle en 1964, la relation franco-chinoise a toujours suivi sa voie singulière. En inaugurant ce 60e anniversaire, le Président de la République et le Président Xi Jinping ont réaffirmé la responsabilité particulière qui incombe à nos deux pays, membres permanents du Conseil de sécurité. Dans un contexte international instable, menacé par la fracturation, nous devons concevoir ensemble des solutions pour répondre aux défis globaux et dénouer les crises internationales.

Dans le sillage de nos échanges de février, notre rencontre à Pékin aujourd’hui nous a permis d’évoquer les prochaines échéances bilatérales de haut niveau, et en particulier la prochaine visite d’État du Président Xi Jinping. Elle constituera un temps fort de notre relation et une manifestation de notre amitié ancienne.

Nous avons également pu évoquer nos relations économiques. Vous savez que le rééquilibrage de notre partenariat économique est une priorité, comme elle l’est pour nos partenaires européens. L’Union Européenne est un marché très ouvert, le plus ouvert au monde et les déficits actuels avec un certain nombre de pays dont la Chine ne sont pas soutenables pour nous et nos échanges doivent reposer sur des bases saines et durables, c’est-à-dire la réciprocité et des règles partagées et appliquées par tous. Pour autant, il n’est pas souhaitable, et je l’ai redit au ministre, de se découpler de la Chine. Nous gardons des liens importants que nous souhaitons renforcer et établir pour un certain nombre de secteurs. Nous l’avons dit à plusieurs reprises et je le réaffirme devant vous aujourd’hui. Les entreprises françaises peuvent apporter une contribution majeure à l’objectif de « développement de haute qualité » porté par les autorités chinoises, que ce soit dans l’agroalimentaire, les transports, les industries culturelles ou face au défi de la transition environnementale.

Notre coopération dans la lutte contre le changement climatique, la protection de la biodiversité ainsi que l’appui aux pays les plus vulnérables doit se poursuivre, dans la continuité du Pacte de Paris pour la planète et les peuples conclu en juin dernier. Nous sommes déterminés à œuvrer en commun en faveur des acquis de la COP28 sur le changement climatique et à préparer ensemble la Conférence des Nations Unies sur les océans de Nice en 2025 à un moment important où la France accueillera une grande partie du monde sur ces enjeux qui sont fondamentaux.

Nous avons également évoqué la reprise des échanges entre nos deux sociétés. Cette relance passera notamment par la promotion des échanges en matière éducative et culturelle, comme l’atteste la vigueur de l’Année franco-chinoise du tourisme culturel. J’aurai à ce titre, et vous l’avez évoqué monsieur le ministre et je vous remercie, le privilège d’inaugurer aujourd’hui un des projets phare de cette Année, l’exposition « Versailles à la Cité interdite », reflet de la densité et de la singularité de nos liens.

Mais ces échanges n’ont pas de sens si nos sociétés devaient vivre dans un monde sans règles.

Nous avons évoqué ensemble des guerres et des conflits mondiaux, notamment la guerre d’agression russe en Ukraine. Comme je vous l’ai dit, Monsieur le ministre, cette guerre concerne l’ensemble de la communauté internationale. Nous avons une conviction, c’est que :

  • Il n’y aura pas de paix durable si elle n’est pas négociée avec les Ukrainiens ;
  • il n’y aura pas de sécurité pour les Européens s’il n’y a pas de paix conforme au droit international ;
  • et si nous n’aidons pas le droit international à triompher, je doute que nous puissions continuer d’un point de vue collectif à commercer et prospérer ensemble sur cette planète.
    C’est donc un enjeu essentiel pour nous, C’est pour cela que la France est déterminée à maintenir un dialogue étroit avec la Chine pour contribuer ensemble à trouver le chemin d’une paix durable en Ukraine, fondée sur les principes de la Charte des Nations unies.
    À cet égard, je souhaite également marquer la préoccupation de la France concernant les livraisons de missiles balistiques par la Corée du Nord à la Russie et les allégations identiques s’agissant de l’Iran. Ceci marque une escalade majeure dans le conflit. Il en va du plein respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, il en va aussi de la stabilité de l’ordre international, je vous le disais.

Nous avons également eu un échange approfondi sur le conflit au Proche-Orient. La situation humanitaire sur place est catastrophique et s’aggrave de jour en jour. Tous les otages doivent évidemment être libérés, je l’ai dit hier encore au Caire, ça reste pour la France la priorité absolue. Nous partageons aujourd’hui l’objectif d’obtenir un cessez-le-feu immédiat et durable qui garantisse enfin la protection de tous les civils et l’entrée massive de l’aide humanitaire dans Gaza.
Sur le plan politique, nous partageons la conviction qu’il est essentiel de relancer les efforts de paix pour mettre en œuvre concrètement la solution des deux Etats, sur la base des paramètres internationalement agréés. C’est le sens du travail que nous allons mener au sein du Conseil de sécurité des Nations unies et puis la concertation que la France mènera sur une éventuelle nouvelle résolution autour des paramètres politiques de la paix.

Pour conclure, je souhaite souligner ici l’importance du dialogue exigeant que nos deux pays entretiennent. Nous avons une responsabilité partagée pour identifier des solutions collectives en faveur de la stabilité du monde. Je pense que cette responsabilité donne, en tout cas à la France et à la Chine, une capacité à travailler ensemble et à préparer ces échanges de haut niveau entre nos deux Présidents.

Je vous remercie de votre accueil chaleureux à Pékin et me réjouis de nos prochains contacts que nous pourrons avoir ensemble.

Q : Bonjour monsieur le ministre. Vous l’avez rappelé, la Chine et la France ont une responsabilité particulière vis-à-vis des crises internationales notamment de la guerre en Ukraine. La France vient faire de la pédagogie auprès de la Chine pour expliquer à quel point la guerre en Ukraine a un impact sur le continent européen. Est-ce que cette pédagogie auprès de la Chine n’est pas brouillée ces dernières semaines par les récentes déclarations du président de la République sur la possibilité d’un envoi de troupes en Ukraine, je vous remercie.

R  : Merci de votre question on abordera d’ailleurs la question au déjeuner, la question n’a pas encore été discutée entre moi et le ministre.
Évidemment, la Chine joue un rôle clé dans l’indépendance, le respect du droit international, y compris la souveraineté de l’Ukraine et donc nous attendons de la Chine qu’elle passe des messages très clairs à la Russie. Les réunions qui ont eu lieu notamment sur la question de l’ambiguïté stratégique font partie de la stratégie européenne, le Président de la République l’a rappelé. La question c’est de faire mieux, de faire plus, et de faire différemment, et c’est sur le territoire européen que cette guerre se joue et c’est la responsabilité des États européens aussi d’envisager leur propre stratégie par rapport au conflit. Il y a donc une forme de souveraineté européenne autour de la stratégie qui est abordée. Cette question sera évoquée mais plutôt afin de savoir comment faisons-nous pour que la paix puisse advenir en Ukraine et, que la Russie retire ses troupes. Les messages doivent être passés très clairement à la Russie. Nous attendons également maintenant des pays comme la Chine qu’ils puissent passer des messages clairs. On souhaite tous que la paix puisse advenir mais elle adviendra uniquement si l’Ukraine est dans les discussions et dans les négociations et qu’on puisse avoir un rapport de force favorable à l’Ukraine. C’’est tout l’enjeu en tout cas de la stratégie européenne aujourd’hui, remettre l’Ukraine dans une situation de pouvoir discuter.

Q : J’ai deux questions à poser, l’une pour le ministre Wang Yi, l’autre pour le ministre Séjourné.
Monsieur le Ministre Wang Yi, la Chine a décidé l’année dernière de mettre en œuvre une politique d’exemption de visa pour les ressortissants de plusieurs pays européens dont la France. Dans l’autre sens, la France a annoncé des mesures d’exemptions, plus limitées, tels qu’un visa de tourisme de 5 ans pour les étudiants chinois ayant effectué un semestre d’étude dans le pays. Quelles sont les attentes de la Chine à cet égard ?
Monsieur le Ministre Séjourné, les échanges de haut-niveau sont fréquents entre la France et la Chine depuis le début d’année comme le montre votre visite. La coopération et les échanges ont repris rapidement. En même temps, l’UE a décidé de mettre en œuvre une politique de « dérisking » et promeut des restrictions à l’encontre des véhicules électriques chinois et d’autres produits exportés par la Chine vers l’UE. Quelles sont vos attentes et votre avis concernant les relations sino-françaises cette année ? »

R  : Comme vous le savez, depuis la pandémie de Covid-19, l’Europe a eu à connaître un certain nombre de vulnérabilités. La stratégie européenne consiste donc à combler ces dépendances dans l’intérêt européen et à regarder par type de secteur d’activité. Et donc dans ce cadre-là, évidemment, nous avons notre stratégie d’intérêt général européen, mais cela ne veut pas dire que l’Europe se ferme et donc je le redis au ministre : l’Europe est encore un marché ouvert, ouvert aux investissements. La Chine est également un marché ouvert : nous souhaitons que les entreprises françaises puissent également venir y investir. Donc ce débat est légitime pour les Européens, dans le cadre d’une stratégie que le Président de la République évoque comme une stratégie d’autonomie, d’autonomie dans un grand nombre de secteurs d’activité. Mais cela ne veut pas dire que l’Europe devient protectionniste, cela ne veut pas dire que la Chine doit se fermer non plus. Les intérêts sont bien compris de part et d’autre.