Entretien de Catherine Colonna avec le quotidien estonien "Eestipaevaleht"(25 octobre 2022)

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Dans le cadre de son déplacement en Estonie, le 24 octobre 2022, Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, a répondu aux questions du quotidien estonien "Eestipaevaleht".

Questions traduites de l’anglais

Q : Les récents commentaires du président de la République française expliquant que la France ne riposterait pas à une attaque nucléaire de la Russie en Ukraine sur le même mode et qu’elle ne prêterait pas l’oreille aux va-t-en-guerre de l’Union européenne, n’ont pas été très bien reçus en Europe de l’Est. Pourriez-vous nous exposer les mesures que votre gouvernement est prêt à adopter pour mettre un terme à l’agression russe ? En lien avec cette question, comment l’Union européenne et ses États membres devraient-ils réagir à la situation en Iran et au soutien croissant de ce pays à la guerre menée par la Russie ?

R : Depuis le début de l’agression de la Russie, la France est aux cotés de l’Ukraine. Notre solidarité avec les autorités et le peuple ukrainiens est sans ambiguïté. En lien avec nos alliés et partenaires, nous apportons notamment une assistance militaire conséquente à l’Ukraine pour lui permettre d’exercer son droit légitime à défendre sa souveraineté et son intégrité territoriale. Notre aide est significative : de l’artillerie lourde, des véhicules blindés, des missiles, des munitions et très bientôt un renforcement avec de l’armement anti-aérien et des pièces d’artillerie LRU, lance-roquettes unitaires. Ce soutien répond aux besoins exprimés par les autorités ukrainiennes. Il est efficace, apprécié des Ukrainiens et fait la différence sur le terrain. Ainsi, par exemple, les canons Caesar que nous avons livrés ont permis de faire reculer les forces russes de nombreuses positions stratégiques, comme récemment près de Kherson.

Cet important soutien militaire s’accompagne d’un soutien politique, diplomatique, économique et humanitaire. Cet engagement durera aussi longtemps que nécessaire car en aidant l’Ukraine à se défendre, nous défendons aussi l’ordre international fondé sur les règles de droit et contribuons à la sécurité de tous. Nous partageons là la même conviction.

Concernant l’arme nucléaire, nous appelons la Russie à avoir le comportement responsable qui doit être celui d’un État doté de l’arme nucléaire. Permettez-moi d’ailleurs de rappeler que les chefs d’État ou de gouvernement américain, chinois, britannique, français mais aussi russe, ont adopté une déclaration indiquant qu’une guerre nucléaire « ne peut pas être gagnée et ne doit jamais être menée », le 3 janvier dernier. Ce rappel est utile aujourd’hui.

S’agissant de l’Iran, la France a condamné avec la plus grande fermeté la répression brutale de manifestations pacifiques. Elle voit dans les transferts de drones iraniens à la Russie au service de sa guerre d’agression en Ukraine une violation des obligations internationales de Téhéran. C’est pourquoi elle a réagi rapidement avec ses partenaires en adoptant en quelques jours des sanctions contre l’Iran, à l’encontre d’individus et d’entités impliqués dans le transfert et la production de ces drones utilisés par les forces armées russes en Ukraine. Par ailleurs, je note que plusieurs partenaires internationaux ont fait de même, dont les États-Unis et le Royaume-Uni. Sur ce sujet aussi nous sommes unis.

Q : Pour beaucoup d’Européens, le tandem franco-allemand doit avoir un certain rôle moteur, notamment sur les questions énergétiques. Comment faire face à la crise énergétique qui ne cesse de prendre de l’ampleur et quels sont les principales difficultés à résoudre, compte tenu des positions divergentes concernant le gazoduc MidCat et d’autres questions actuellement en débat ?

R : La question énergétique est en effet l’un des principaux défis posés à l’Europe. En réaction à l’agression russe, l’Union européenne a donc pris des initiatives fortes et engagé des mesures sans précédent pour sécuriser son approvisionnement énergétique et maitriser les prix de l’énergie. Là encore, elle a réagi avec rapidité et efficacité, pour protéger son économie, ses citoyens et la compétitivité de ses entreprises. Cela n’aurait pas été possible sans une étroite coopération entre la France et l’Allemagne.
Cela ne signifie évidemment pas que nous sommes tous spontanément d’accord sur tous les sujets mais nous savons toujours trouver une position commune dans l’intérêt de l’Europe.
Concernant l’Allemagne, Olaf Scholz sera d’ailleurs demain à Paris pour poursuivre ses conversations avec le Président de la République. Nous sommes solidaires et échangeons de l’électricité et du gaz.
Il est possible et nécessaire de faire plus pour lutter contre la flambée des prix de l’énergie en vue de l’hiver prochain.

S’agissant du projet spécifique que vous citez, une réunion importante a eu lieu la semaine dernière à Bruxelles entre la France, le Portugal et l’Espagne. Elle a permis de trouver un accord en vue d’accélérer le développement des interconnexions énergétiques en Europe, dans le plein respect de nos objectifs environnementaux. Les trois pays ont ainsi décidé d’abandonner le projet MidCat et de créer un corridor énergétique vert reliant le Portugal, l’Espagne et la France au réseau énergétique européen, qui bénéficiera donc à l’ensemble des Européens. Cet accord qui se concentre sur les interconnexions électriques et l’hydrogène est un bon accord.

Q : Peut-on affirmer que la France contribue directement à la sécurité de l’Estonie, en particulier s’agissant de la décision d’envoyer davantage de soldats et d’équipements pour accroître la présence de l’OTAN en Europe de l’Est, dont des forces additionnelles destinées à être déployées au cours des prochains mois en Estonie. Pourriez-vous nous exposer les difficultés et les opportunités qui caractérisent la coopération entre l’Estonie et la France, tant en matière de sécurité que dans d’autres domaines ?

R : La coopération entre nos deux pays est d’ores et déjà très forte. Le Partenariat Stratégique que nous avons conclu en octobre 2020 est une feuille de route ambitieuse pour aller encore plus loin dans les domaines économique, scientifique, éducatif, culturel, environnemental et numérique. Je m’en réjouis.
Mais ce sont évidemment les enjeux de défense et de sécurité qui constituent le sujet du moment. La France contribue au renforcement du positionnement de l’OTAN sur son flanc oriental et, notamment en Estonie. Nos soldats ont été déployés en 2017, en 2019, et le sont depuis 2021. Nous avons décidé, à la suite du déclenchement de l’agression russe contre l’Ukraine, de pérenniser leur présence par solidarité avec l’Estonie. En plein accord avec le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, j’ai donc tenu à me rendre sur la base militaire de Tapa, cet après-midi, où 300 militaires français sont présents afin de marquer toute la force du soutien politique et militaire de la France à votre pays. Nous participons également à la police du ciel dans les pays Baltes avec des avions de combat Rafale régulièrement positionnés en Lituanie et nous déployons également des forces importantes en Roumanie où nous sommes nation–cadre. La France est un allié fiable, elle le montre tous les jours, je suis heureuse d’être chez vous pour le montrer.

Plus d’information sur le déplacement de Catherine Colonna en Estonie.

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