Roumanie - Discours de Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, lors d’une conférence de presse avec son homologue roumain, M. Bogdan Aurescu, à l’issue d’une réunion des ministres des affaires étrangères du format "Bucarest 9" (Bucarest, le 3 février 2022)

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Merci cher Bogdan,

Mesdames et Messieurs,

Nous avons eu ce matin avec mes homologues du format B9, ou « Bucarest 9 », des échanges très substantiels, des échanges importants, des échanges même passionnants et je voulais remercier Bogdan d’avoir organisé cette rencontre, dont Bucarest a été au point de départ, et de m’avoir invité dans ce club, à un moment réellement critique pour la sécurité et la stabilité de l’Europe. Je l’ai dit hier devant le Parlement roumain, nous faisons face à un défi structurel qui est celui de retrouver une relation stable, prévisible, avec la Russie, trente ans après la réunification du continent européen et de le faire dans le respect des principes fondamentaux de la sécurité européenne que sont ceux d’Helsinki et de la Charte de Paris.

Et nous devons également, parallèlement, chercher à très court terme la voie d’une désescalade des tensions que nous connaissons en lien avec le dossier ukrainien. Et c’est la raison pour laquelle notre collègue, Dmytro Kuleba, à l’invitation du ministre roumain, nous a rejoints, en fin de réunion, pour redonner un éclairage sur la situation actuelle. Et Bogdan vient de rappeler dans le compte-rendu qu’il vient de faire la qualité et les différents points majeurs de nos échanges.

En tout cas pour moi, ces échanges ont confirmé la proximité de nos vues, et une unité européenne que j’avais constatée lors de nos échanges à Brest, il y a trois semaines, puis au Conseil des affaires étrangères du lundi 24 janvier, il y a quelques jours. Cette cohérence et cette volonté d’avancer de manière collective sont à l’image de l’esprit qui régit actuellement les relations entre Européens, ainsi que les relations transatlantiques face aux défis posés par la Russie. Et maintenir cette unité, la conforter, est une priorité majeure de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. C’est aussi le sens de l’échange que nous avons eu, ce matin.

Je vais retenir trois éléments importants de notre discussion.
D’abord, j’ai rappelé à mes homologues qu’ils pouvaient compter sur le soutien de la France à leurs côtés, comme nous l’avons montré depuis 2017, par le biais de nos collaborations aux présences avancées renforcées au profit de l’Estonie et de la Lituanie, mais nous sommes prêts à le faire, je l’ai déjà dit, au profit de la Roumanie, dans le contexte actuel.

Je souhaitais, ce faisant, indiquer à nos partenaires et Alliés du flanc Est que nous prenons la situation très au sérieux. En effet, les moyens utilisés par la Russie autour de l’Ukraine, sans précédent dans l’histoire récente, laissent ouverts tous les scénarios. Or, je l’ai dit à plusieurs reprises, y compris directement aux Russes : toute action offensive de la Russie en Ukraine emporterait des sanctions massives et ce message de dissuasion reste pertinent. Et nous devons continuer à le décliner concrètement dans la préparation qui a été engagée au sein de l’Union européenne.

Deuxièmement, nous avons dans le même temps invité la Russie à poursuivre le dialogue, dans toutes les enceintes pertinentes, car nous restons convaincus qu’il s’agit du meilleur chemin pour parvenir à une désescalade soutenable. C’est l’objet des efforts que nous conduisons avec nos partenaires allemands dans le cadre du format Normandie qui va se poursuivre. Vous connaissez l’engagement du Président de la République et le mien pour parvenir à des gestes concrets, de part et d’autre, pour avancer dans la mise en oeuvre des accords de Minsk. J’ai informé ce matin mes collègues de l’état de ces efforts.

Nous avons également partagé notre volonté collective de rester pleinement impliqués dans toutes les enceintes de dialogue avec la Russie. Des propositions - tu l’as rappelé, Bogdan - ont été transmises, en notre nom, dans le cadre de l’OTAN, à la Russie, en particulier sur la maîtrise des armements, que nous souhaitons discuter avec elle. Nous restons par ailleurs étroitement coordonnés avec les États-Unis qui rappellent, comme nous, que rien de ce qui concerne l’Europe ne saurait se décider sans les Européens.

Enfin, la Russie a pu constater, ces dernières semaines, qu’elle avait en face d’elle des Européens unis et solidaires, quel que soit le cadre, que ce soit le cadre de l’Union européenne, celui de l’OSCE ou celui de l’OTAN, où que ce soit dans une coordination très étroite qui s’opère avec nos partenaires outre-Atlantique. Notre unité, c’est notre force principale. Les échanges que nous avons eus aujourd’hui viennent incarner aussi cette convergence sur les grands axes de notre stratégie commune.

Il revient maintenant à la Russie de faire un choix clair entre la voie de l’escalade et du déséquilibre, et la voie du dialogue et de la stabilité retrouvée autour des principes fondamentaux de sécurité et autour de règles qui soient adaptées à l’évolution de la compétition stratégique. Le Président de la République et moi-même en accompagnement nous continuerons à prendre toutes les initiatives nécessaires pour y parvenir.

Enfin, à la fin de mon séjour ici, à Bucarest, puisque je vais me rendre tout à l’heure pour voir le Président de la République, avant de rentrer à Paris, je voudrais à nouveau remercier Bogdan de son accueil, et vous dire que les relations entre la Roumanie et la France sont au meilleur, et que nous avons aussi progressé dans notre relation bilatérale, au cours des échanges que j’ai pu avoir depuis mon arrivée hier.

Q - Schengen - Corvettes
R - Sur la question de Schengen, le Président de la République s’est exprimé hier, en France, et a rappelé quelle était notre position, que vous connaissez bien : il importe évidemment de faire en sorte que nous ayons ensemble la maîtrise de nos frontières, parce que l’esprit de Schengen, la libre circulation, signifie parallèlement la maîtrise de nos frontières ; l’un ne va pas sans l’autre.
Et pour ce faire, il est essentiel que nous puissions réformer Schengen, en profondeur, d’abord pour renforcer sa gouvernance, et pour faire en sorte que les mécanismes d’évaluation soient rigoureux et soient renforcés dans toutes leurs dimensions. C’est cette articulation-là que nous voulons mettre en oeuvre sous la présidence française, et évidemment, cela s’accompagne aussi de notre volonté, de notre souhait d’élargir Schengen. Je sais que la Roumanie est tout à fait intéressée et nous sommes dans une disposition très favorable à cet égard, à la fois pour la Roumanie, mais aussi pour la Bulgarie et la Croatie. Les deux vont de pair et je crois que cela a pu être dit déjà à plusieurs reprises.
Sur les corvettes, il s’agit d’une discussion entre deux partenaires industriels. Moi, je me réjouis que ces discussions aient lieu. Je me réjouis aussi de leur bon état d’avancée. Je me réjouis, au-delà de cela, de la qualité de nos relations dans le domaine maritime et dans le domaine de la sécurité maritime. D’ailleurs, Bogdan vient d’y faire référence dans son propos. Je souhaite que tout cela puisse aboutir, le mieux possible, et que les deux entreprises concernées fassent les efforts nécessaires pour que nous puissions conclure rapidement cet accord qui confortera beaucoup la relation bilatérale entre la Roumanie et la France, et qui contribuera aussi à une bonne coordination de nos forces maritimes en mer Noire.

Q - La France a proposé d’envoyer ici, en Roumanie, des centaines de militaires français et même de servir de « nation-cadre » pour l’OTAN. Quelle complémentarité voyez-vous avec la présence des troupes américaines que M. Biden a proposé d’envoyer, et avez-vous déjà un calendrier ? Par ailleurs, comment la France peut-elle présenter cette initiative à Vladimir Poutine avec lequel le Président Macron va avoir un entretien téléphonique aujourd’hui, sans que ce déploiement puisse être considéré comme une forme de provocation ? Et enfin, quelles pourraient être les conséquences de ce déploiement des militaires français en Roumanie sur la présence française au Sahel, la France ne pouvant peut-être pas assumer tout à la fois, c’est-à-dire être le gardien anti-terroriste en Afrique, et puis être présent ici en Europe de l’Est ?

R - Il n’y a pas de contradiction. Je ne vois pas où vous pourriez la déceler. La France en proposant, en étant disponible pour être nation-cadre, et participer à la présence avancée adaptée de l’OTAN en Roumanie, répond à ses propres engagements dans le cadre de l’OTAN. Nous avons fait part de cette disponibilité, et cette disponibilité sera proposée à la réunion des ministres des armées qui se tiendra dans quelques jours. Cela fait partie de la solidarité que j’ai exprimée très clairement.

Il y a un autre sujet qui est le fait que, au Sahel, des États africains ont appelé la France en soutien de leur sécurité. Je ne vois pas la contradiction. La France remplit ses missions, qui sont des missions de solidarité, des missions de sa propre sécurité, des missions aussi de participer à la sécurité de l’Europe. Elle répond aux pays qui demandent son soutien, comme c’est le cas en particulier au Sahel.

Sur la coordination potentielle avec la présence de forces américaines qui a été décidée au niveau bilatéral, nous le constatons, Bogdan s’en est réjoui, et il n’y aura absolument pas de difficulté à établir une bonne complémentarité avec la présence avancée adaptée à laquelle nous participerons si d’aventure nous sommes retenus dans la proposition que nous allons faire.

Je ne crois pas qu’on puisse dire que ce soit une provocation que de répondre aux engagements auxquels nous devons répondre dans le cadre de notre présence à l’OTAN. Et je ne vois pas en quoi cela pourrait perturber les discussions qu’a régulièrement le Président de la République avec le Président Poutine. Le sujet de fond, là, à l’heure actuelle, c’est la désescalade. Et tout doit être fait pour que l’on puisse aboutir le plus rapidement possible à la désescalade. Qu’est-ce qu’on fait pour désescalader ? D’abord, on dissuade. Et puis aussi, on parle ! Et donc, nous sommes pour que l’on retrouve les voies d’un canal de discussion avec la Russie. C’est vrai que ce dialogue est toujours exigeant et difficile, mais il faut qu’il ait lieu pour éviter qu’il y ait une dégradation de la situation, parce qu’aujourd’hui, c’est vrai que la situation est grave, et que la Russie dispose des forces déployées nécessaires pour engager une initiative agressive rapidement si elle le souhaite.

Mais elle ne l’a pas décidé. Donc, utilisons toutes les démarches possibles, toutes les initiatives possibles aujourd’hui pour engager la désescalade et pour que le Président Poutine choisisse la négociation plutôt que la confrontation.

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